Récemment, vous avez déposé sur la table de l’Assemblée nationale, une proposition de loi qui porte sur l’officialisation de la polygamie en Côte d’Ivoire. Cette proposition de loi fait débat. Qu’en pensez-vous ?
J’ai effectivement déposé, depuis le 3O juin 2022, une proposition de loi sur la table de l’Assemblée nationale. Après quoi, j’ai animé le 07 juillet dernier, une conférence de presse pour informer l’opinion nationale du dépôt de cette proposition de loi qui va modifier la loi 2019-570 du 26 juin 2019, loi relative au mariage. Ma proposition de loi vient modifier et compléter la loi qui existe sur le mariage en Côte d’Ivoire. Ma proposition demande à ce que l’aspect polygamique soit pris en compte dans la législation Ivoirienne. Je suis parti d’un certain nombre de constat. C’est ce qui m’emmène à proposer cette modification de la loi sur le mariage.
Depuis l’annonce de la proposition de loi, des voix s’élèvent ça et là pour, soit dénoncer ou condamner. Comment réagissez-vous ?
Je réagis avec beaucoup de joie. Je constate que le sujet n’a pas laissé les Ivoiriens indifférents. C’est un sujet national. Il ya ceux qui sont pour et ceux qui sont contre. C’est très intéressant. Cela veut dire que les Ivoiriens refusent qu’on leur impose quoique ce soit. La presse, les réseaux sociaux, l’opinion nationale constituent des baromètres qui nous montrent les tendances des Ivoiriens. Mon souci était de poser un problème qui intéresse les Ivoiriens. Cet objectif est atteint. Si ça n’intéressait pas les Ivoiriens, il n’aurait pas eu de débat. Les problèmes de société, notre rôle en tant qu’élu de la nation est de les prendre en compte. La proposition de loi fait débat parce que ceux qui sont contre n’ont pas encore compris l’esprit de la loi. Ceux qui sont pour, je pense qu’ils ont bien compris. Cette proposition de loi contrairement à ce que j’attends, est une proposition de loi qui défend les droits des femmes. Dans nos sociétés actuelles, les femmes sont considérées comme un objet de jouissance. La polygamie existe dans nos sociétés. Tout le monde la voit. Les femmes ne sont pas protégées dans ces relations polygamiques. La polygamie existe depuis 1964, date à laquelle la monogamie nous a été imposée. Le président Félix Houphouët Boigny, père fondateur de la Côte d’Ivoire moderne, a instauré la monogamie en 1964, une pratique qui interdit d’épouser une autre femme. Malheureusement, ça n’a jamais fonctionné. Ceux qui ont été les initiateurs de cette loi n’ont pas été capables de la respecter. Ils ont vécu pour la plupart d’entre eux, dans des relations polygamiques jusqu’à leur mort. Leurs successeurs n’ont pas été capables de respecter l’interdiction formelle. Ce qui fait que beaucoup de nos contemporains sont polygames de fait. Or, la loi ne considère pas ses mariages comme des mariages dont les épouses qui sont dans des situations de polygamie sont considérées comme des maitresses. Je trouve ça péjoratif pour des femmes dont les mariages ont été consacrés soit par la tradition, soit par la religion. Quand vous partez payer la dot dans une famille, (…), quand les parents de la femme prennent la dot, automatiquement, la femme est considérée comme madame x. La société la reconnait comme votre épouse. La communauté lui donne tout le respect dû à son rang de femme mariée. Il n’y a que la loi qui dit qu’elle n’est pas mariée. Elle est une maitresse. Je trouve ça dégradant pour la femme. A partir du moment où la société accepte cela, la société consent à la considérer comme femme mariée, que les deux familles sont consentantes, les épouses sont consentantes, que la loi donne sa caution pour que cette femme ait toutes les garanties qu’elle doit avoir compte tenu de son statut. C’est tous ces faits qui m’ont amené à faire cette proposition afin que ces femmes ne soient pas considérées comme des femmes à mœurs légères mais des femmes normales parce que mariées dans leur communauté. Après la reconnaissance des enfants adultérins dans notre législation, qui permet à un homme de faire autant d’enfants qu’il veut dehors, ces enfants sont reconnus automatiquement sans aucune permission de l’épouse, je pense qu’il y a là une injustice. Vous reconnaissez les enfants mais pas leur mère. Ce n’est pas normal. Si on est arrivé à reconnaitre les enfants adultérins c’est pour leur donner une protection légale. La loi est censée protéger tous les membres de la société. Vous ne pouvez pas protéger les enfants issus de cette relation et ignorer leur génitrice. Il faut corriger cette injustice. Les organisations féminines qui affirment que je viole le droit des femmes, qu’elles viennent me dire à quel niveau je viole le droit des femmes. Je propose une polygamie optionnelle. Cette option permet à tous les Ivoiriens de choisir leur mode de vie. J’ai été interpellé sur le fait que certaines églises sont contre la polygamie. C’est leur droit. On n’impose pas la polygamie à quelqu’un. Si vous êtes monogame, c’est-à-dire votre confession religieuse bous oblige à être monogame, ma loi ne vous demandera pas d’être polygame. Vous restez monogame. Ceux dont les confessions spirituelles les autorisent, s’ils ont les moyens, ils peuvent être polygames. Il ne faut pas leur interdire ce que leur conviction religieuse autorise et imposer ce qui n’est interdit chez eux. Il ne faut pas non plus violer le respect des autres confessions. Au niveau culturel, tous les peuples de Côte d’Ivoire pratiquent la polygamie. Vouloir nier la polygamie ou la considérer comme un fait résiduel de la société, c’est un raccourci. La polygamie se vit en Côte d’Ivoire. Il faut légiférer pour encadrer cela et éviter les drames que nous constatons avec les enfants de la rue (…).
La polygamie est une réalité dans la société Ivoirienne comme vous le dites. Est-ce ça la priorité actuelle pour la population ?
Les priorités sont nombreuses. Tout est prioritaire en Côte d’Ivoire. Parmi les millions de priorités, le député Sangaré Yacouba a décidé de prendre une priorité pour s’attaquer à ça. Je ne suis pas la seule intelligence de la république. Il y en a beaucoup. Chacun peut choisir la priorité qu’il juge importante à ses yeux pour s’attaquer à ça. J’ai choisi de m’attaquer à la priorité portant sur la polygamie. Si je finis avec, je m’attaquerai à une autre priorité.
En affirmant que la loi sur la monogamie n’a jamais été appliquée, voulez vous insinuer que les lois votées ne sont pas appliquées ?
C’est l’un de mes objectifs Les lois votées n’ont jamais été unanime. A partir du moment où une loi est votée, elle s’impose à tous. La loi sur la monogamie a été votée, elle était supposée s’imposer à tout le monde. Quand on fait le constat, on observe des polygames. Malgré cela, personne n’a jamais été inquiété, sanctionné par la loi. C’est vous dire que le viol de cette loi ne dérange personne. Si son viol ne dérange personne, autant l’abroger pour dire, cette loi n’est pas adaptée à notre société actuellement. Dans dix-vingt ans, il y aura une autre génération de législateurs. Ils vont peut-être revenir sur cette loi pour l’adapter aux réalités de ce moment là. Pour le moment, la loi sur la monogamie n’est pas adaptée à notre société parce qu’elle est violée constamment au vu et au su de tout le monde. Il n’ya aucune sanction. Autant la retirer pour ne pas nous ridiculiser. C’est ce que les gens qualifient d’hypocrisie. Tout le monde voit, tout le monde ferme les yeux là-dessus alors qu’on devait sanctionner. Comme il n’ ya pas de sanction, envoyons ça laissons le libre choix aux gens. Ceux qui veulent être monogames, ils le restent. Ceux qui veulent être polygames, ils le deviennent. Ainsi, le débat est réglé. Maintenir une loi qui est violée par ceux qui sont supposés être les gardiens de la loi, y a problème ! Ceux qui sont contre c’est leur droit. En ce qui me concerne, je prends le peuple de Côte d’Ivoire comme un lobby auquel je dois faire plaisir. Si le peuple se trouve dans ce que je fais, je suis satisfait. Ceux qui veulent rester monogames, c’est leur droit. Ceux qui ne veulent pas se parier, ils sont libres de rester célibataire. La loi du mariage n’impose pas le mariage à quelqu’un. Ce n’est pas obligatoire.
La suite In Le nouveau Regard N°19