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Côte d’Ivoire/Interview/ Kouassi Yao (pdt de FAMACI) : « Bouaflé compte le plus grand nombre de non-voyants » *De nombreuses aveugles de Bouaflé sont des femmes, les gens abusent d’elles * Le DAF du ministère de la fonction publique d’alors ne voulait pas de non-voyants. * Je suis resté 6 ans à la maison sans aller au travail…

Quels sont les principales missions que vous vous êtes assignez au niveau de la fédération?

Nous œuvrons pour le mieux être de la personne aveugle en Côte d’Ivoire. Nos missions, trouver l’emploi aux aveugles diplômés, les former, assurer leur éducation, leur intégration notamment ceux qui sont dans les zones rurales et qui n’ont pas pu aller à l’école comme les autres.

Combien de personnes et d’associations regroupent la fédération des aveugles de Côte d’Ivoire?

La fédération regroupe vingt associations reparties dans tout le pays. On en trouve à Bouaké, Bouaflé, Daloa, Man, Danané, Bondoukou, Abengourou et un grand nombre à Abidjan. Si nous nous référons à nos cartes d’adhésion, on pourrait dire que la fédération comprend mille membres et plus, que nous pouvons identifier, localiser.

 Et le nombre d’handicapés en Côte d’Ivoire ?

Nous n’avons pas de statistiques fiables mais je parlerai de 400.000 handicapés en Côte d’Ivoire dont 70.000 non-voyants. C’est ce qui est dit mais je pense que ce chiffre est plus élevé que la réalité.

Avez-vous le sentiment de réussir les missions qui vous ont motivé à mettre en place la fédération des aveugles de Côte d’Ivoire ?

Ce n’est pas facile mais nous faisons ce que nous pouvons pour alléger un temps soit peu les difficultés des personnes aveugles.

Quelles sont ces difficultés ?

Je vous ai dit, beaucoup sont dans les zones rurales. Ils vivent dans des conditions précaires, sans moyens. Notre objectif, les aider à monter des projets. Nous avons cinq à six projets sous la main. Depuis quatre ans, nous cherchons des financements. Malheureusement, personne ne nous répond.

Les ressources que nous recevons servent à alléger quelque peu la souffrance de nos membres. Pendant la période de Covid par exemple, nous avons aidé nos camarades en kits alimentaires.

Pour revenir à nos projets, ceux que nous avons montés, je parlerai du projet de Bouaflé qui est pour moi considéré comme le grand projet d’élevage en faveur des aveugles.

Je vous rappelle que Bouaflé compte le plus grand nombre de non-voyants. La majorité des non-voyants de Bouaflé sont des femmes. Les gens abusent d’elles, les enceintent et les abandonnent avec leurs enfants.

Cette zone est un casse-tête chinois pour la fédération. C’est un non-voyant pasteur qui a à sa charge tous ces non-voyants. Nous avons monté un projet d’élevage et un autre de culture de manioc pour les femmes. Nous espérons que ces projets pourront les aider.

 Le projet d’élevage porte sur quoi ?

Il s’agit d’un projet d’élevage de volailles. On a monté le projet, les bâtiments, jusqu’à la vente. Ce, d’un coût de 18 millions de F CFA. On a souscrit à l’emploi jeune mais ça n’a pas porté.

Vous parlez de recherche de financement de projet. Pourquoi de faites vous pas recours à l’Agefop ou à d’autres structures ou organisations?

Certains de nos camarades ont bénéficié, il ya  quelques années d’une formation avec l’Agefop. Cette formation portait sur les aveugles standardistes. Sur seize aveugles formés, dix ont pu être intégrés dont quatre au privé. Mais cela date d’une dizaine d’années.

Y a-t-il un autre projet pour lequel vous avez saisi l’Agefop ?

Pour le projet d’élevage, l’Agefop a demandé si on avait un espace, ce pour qu’elle nous aide à construire les bâtiments. Nous les avons saisis pour le projet de Bouaflé. Depuis lors, on attend.

Quels sont selon vous les problèmes auxquels sont confrontés les personnes handicapées en générale et les non-voyants en particulier ?

Je vous ai cité le cas des non-voyants de Bouaflé. C’est pourquoi nous dénonçons la façon dont se fait le recrutement dérogatoire. Nous souhaitons qu’il y ait une loi afin que le recrutement des personnes en situation d’handicap ne se fasse pas au gré du président de la République en place. La convention des Nations-unis en faveurs des personnes handicapées ratifiée par la Côte d’Ivoire, nous attendons que notre pays ratifie le protocole facultatif qui va obliger l’état de Côte d’Ivoire à mettre en application cette convention. Si cette convention est mise en place, la grande partie des problèmes des personnes handicapées en Côte d’Ivoire seront résolus. La convention règle le problème de l’emploi. On nous dit qu’il y a un quota  pour les personnes handicapées chaque fois qu’un concours est organisé. Malheureusement, le protocole n’est pas respecté.

La loi qui octroie un quota aux personnes handicapées au concours a été votée depuis 1998. C’est maintenant que deux degrés de cette loi ont été pris pour réglé le problème de l’emploi. C’est une commission qui va siéger pour régulariser tout ça. On attend de voir.

 Il se raconte que certaines personnes affirment à tord et à raison que les handicapés préfèrent le recrutement dérogatoire au lieu des concours direct d’entrée à la fonction publique. Partagez-vous cette assertion?

(Catégorique) Ce n’est pas vrai. Par le passé, les personnes handicapées notamment les non-voyants composaient pour les concours de la fonction publique avec les personnes valides. J’ai été recruté à la fonction publique comme secrétaire administratif. C’est par concours professionnel que je suis devenu attachée administratif. J’ai passé 6 X fois le concours avant de connaitre la réussite. Pour nous qui sommes non-voyants, nous partions défavorisés. Il n’ya pas de document en braille pour les non-voyants. Les non-voyants ont des difficultés pour se documenter. Si les 5% réservé aux personnes handicapées sont respectés, se sont les meilleurs parmi les handicapés qui seront recrutés aux concours. On n’est pas contre.

C’est la composition avec les personnes valides qui nous défavorisent.

 

Parlant des personnes handicapées qui entre à la fonction publique ,quel est le regard portez- sur vous ?

Certains nous accueillent bien, d’autres non.

Avez-vous une anecdote ?

Je suis le prothétique de non-voyant qui a rencontré beaucoup de difficultés de personnes non intégrées à la fonction publique. J’ai été affecté au ministère du Commerce en 2001.Quand je me suis rendu à mon service, le chef du personnel d’alors a promis m’offrir un cadre de travail idoine dans l’avenir. Il n’en était rien. Il ne voulait pas de moi dans le service. Chaque fois que j’arrivais au service, il me faisait croire que mon bureau n’était pas encore aménagé. Qu’il fallait que je reste à la maison. Quand je tournais le dos, il appelait au ministère de l’Emploi et de la Protection sociale pour demander qu’on m’affecte ailleurs parce je ne pouvais pas lui être utile. Un jour, il a appelé au ministère pour qu’on m’affecte ailleurs sans savoir que le standardiste à qui il parlait était un camarade non-voyant. Celui-ci m’a informé. J’ai alors interpellé le chef du personnel du ministère qui mais il a nié les faits. La frustration, j’ai aussi subi des frustrations avec le DAF du ministère de la fonction publique d’alors. En effet, celui-ci s’était plaint du fait qu’on m’ait affecté dans son ministère sans lui octroyer le matériel de travail pour non-voyant. Face à ces propos, le directeur de la fonction publique d’alors, M. Porno n’a pas été tendre. Il a demandé au DAF si on lui octroyait du matériel pour tous les fonctionnaires affectés.

En 2001, je suis resté 6 ans à la maison sans aller au travail. Je percevais mon salaire sans travailler.

Le DAF a demandé que je reste à la maison. Moi, je ne voulais pas. Il a déclaré à des personnes qu’il ne comprenait pas pourquoi je me plaignais alors que je percevais mon salaire. Je lui ai dit que je suis syndicaliste, président des aveugles. Si j’acceptais cette complaisance cela pourrait fermer la porte aux autres. Et puis, comment j’allais gérer ma carrière professionnelle. L’arrivée du ministre Yapo Calixte au ministère du Commerce a été bénéfique pour moi. C’est avec sa venue dans ce ministère que j’ai pris service. Comme je réside à Abobo, j’ai demandé à être affecté à l’OPCV d’Abobo non loin de chez moi.

Une autre anecdote. Certaines personnes prennent les personnes handicapées pour des gens qui font pitiés. Nous refusons cela.

Dans ma prise de service à l’OPCV, le directeur des Affaires administratifs et financières m’a bien intégré. Après sa retraite, son successeur m’infantilisait. Le DRH refusait les handicapés. Un des nôtres qui est entré à la fonction publique depuis 2018 a pris fonction seulement à la fin de septembre 2021 aux Affaires sociales. Cette longue période d’inactivité était due au fait que quand il a été affecté au ministère de la Solidarité, son professeur d’Université et encadreur de son master 2 a refusé de l’avoir comme collaborateur. Il a été mis à la disposition de la fonction publique depuis 2018.

Dans type de métier de la fonction publique trouve-t-on beaucoup de non-voyants ?

Je citerai les enseignants. Certains préalablement valides sont devenus aveugles en étant en fonction. Beaucoup dispensent les cours à l’institut des aveugles de Yopougon, et des sourds. A cause de leur handicap, certains enseignants devenus aveugles ont failli être  contraints à la retraite anticipée. Il a fallu l’opposition du professeur Souleymane Sangaré, ophtalmologue, président du conseil de santé pour que ces enseignants aveugles soient mutés comme enseignants à l’institut où ils font correctement le travail.

Vos rapports avec les autorités…

La fédération des aveugles de Côte d’Ivoire est l’organe de liaison entre les pouvoirs publics, les organisations nationales et internationales, et les aveugles de Côte d’Ivoire. Nous avons un rôle de médiateur.

Les rapports sont bons mais on n’est pas beaucoup écouté. Nos préoccupations ne sont pas prises en compte. Les non-voyants et les sourds ont des difficultés énormes en matière scolaire.il ya une seule école d’aveugle étatique en Côte d’Ivoire. Vous trouverez cela normal ? L’état n’a jamais construit une école pour aveugle ou sourd en Côte d’Ivoire. L’école des aveugles de Yopougon a été construite par la charitas Suisse qui a cédé ensuite l’institut des aveugles à l’état. Idem pour l’école des sourds construite par un pasteur américain qui a ensuite cédé à l’état.

Le centre des aveugles de Toumodi est une initiative privé construite par l’association des aveugles.

L’école des aveugles d’Anyama est l’œuvre d’un berger de l’église catholique.

On nous dit l’école pour tous mais la réalité est tout autre. Les personnes handicapées ne sont intégrée. C’est une ONG ‘’société sans barrière’’ en accord avec le ministre de l’Education nationale qui forme les personnes aveugles et sourds et les initient à l’écriture braille et au langage gestuel puis les insère dans une école ordinaire. C’est ce qui se fait depuis 1996 à Toumodi. L’état nous aide en mettant à la disposition  des écoles de Toumodi et d’Anyama, des enseignants de l’état. En outre, l’école des aveugles de Toumodi reçoit une subvention de l’état. A l’école des aveugles et des sourds de Yopougon, les handicapés regagnent leur famille tous les week-ends. Conséquence, certains enfants ont abandonné l’école faute de tuteur à Abidjan. La solution de toutes ces difficultés, c’est la convention. La ratification de la convention et sa mise en œuvre sera la fin de tous ces soucis.

S’agissant de la subvention octroyée aux associations des personnes handicapées, elle s’élève à 150 millions de francs CFA. Malheureusement, les associations reçoivent seulement 50 millions de nos francs depuis 2015.Pourquoi, nous n’en savons pas grand-chose. On nous rétorque que les 100 millions de francs retenus sur la subvention de l’état aux associations d’handicapées servent à l’achat de matériel.

Alors que la décision a été prise en 1998, c’est seulement en 2021 que le degré a été signé. Sous l’ère du président Ouattara, depuis trois ans de suite, le recrutement dérogatoire se fait. Ce qui n’était pas le cas précédemment. Sous l’ère du président Gbagbo, nous avons eu un recrutement des personnes handicapées à la fonction publique qui a pris en compte 500 personnes handicapées. Une autre année, 300 personnes en situation d’handicapée ont été recrutées à la fonction publique. Nous disons que s’il ya une loi qui règle le problème du recrutement des personnes handicapées, on ne parlera pas de faveurs car cela va s’imposer au gouvernement en place.

 

Vous avez évoqué le manque de moyens financier pour vos associations. Qu’en est-il des associations d’handicapées présents à l’intérieur du pays ?

Certaines associations bénéficient du soutient de certaines mairies. Je citerai par exemple  l’association de Toumodi et celle de Bouaké. D’autres non.

Parlez-nous de votre handicap…

J’étais au CM1quand j’ai commencé à avoir des problèmes de vue. Mon géniteur m’a conduit auprès d’un médecin ophtalmologue à Bouaké. Au sortir de la consultation, le médecin m’a prescrit des lunettes. Un an après soit au CM2, alors que j’étais en pleine composition d’entrée en sixième j’ai perdu la vue. J’ai été envoyé à Abidjan pour être consulter par le professeur Sangaré qui a détecté que je souffrais de glaucome. En 1980, j’ai complètement perdu la vue.

Il faut dire quand je partais à l’école, je n’avais pas de document. Nous écrivions sur nos feuilles brailles. Vous me donner l’occasion de dire grand merci à mes anciens camarades d’école. Ils nous ont apporté une aide considérable. A l’institut nous ne sortions pas les week-ends. Certains camarades nous rendaient visite à l’école et nous dictaient les exercices que nous ne comprenons pas. Ils nous aidaient à nous mettre à jour. Au collège, les enseignants ne tenaient jamais compte des aveugles quand ils dispensaient leurs cours de mathématique par exemple. Quand un enseignant dessine le schéma au tableau il faut avoir un bon voisin pour te décrire le schéma et t’aider.

 

Réalisée par S.A.S

 

 

 

 

 

 

 

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