Mariage coutumier, dot de la défunte, coût élévé Tradition ou escroquerie ? *Pourquoi des familles exigent la dot de la défunte ?
L’implantation de la culture occidentale est une réalité dans la société Ivoirienne et en Afrique. Malgré cette influence, certains pans de nos traditions continuent de se pratiquer dans certaines ethnies et familles. Le cas du mariage traditionnel symbolisé par la dot. Cette façon spécifique d’unir les conjoints, les familles, est désignée sous le vocable de mariage traditionnel ou de mariage coutumier. Elle constitue un élément prépondérant pour sceller, à travers des présents exigés par la famille de la financée les liens entre les familles du couple. La dot est une pratique ancestrale dans les sociétés africaines. C’est le jour où les familles des fiancés se retrouvent et apprennent à se connaitre. Une femme dotée fait la fierté de sa famille et de sa communauté. Le mariage coutumier est différent du mariage civil qui lui, est reconnu par la législation Ivoirienne. Si l’esprit de la dot se retrouve dans toutes les sociétés traditionnelles, les éléments du mariage coutumier diffèrent selon les communautés, les groupes ethnies ou les familles. Chaque famille décide des éléments qui doivent composer la dot ou le mariage coutumier. La dot intervient après le premier pas synonyme d’annonce d’un début de fiançailles appelés ‘’côcô’’. Elle marque l’engagement du fiancé vis-à-vis de sa belle famille. En cas de divorce, la dot est restituée au mari. Le coût de la dot diffère d’un village à l’autre, d’une ethnie à une autre, d’une famille à l’autre, selon le statut social du fiancé, les relations du fiancé avec sa future belle famille, selon la tête du mariés, selon les pays. Les dépenses pour la dot peuvent parfois s’élever à coût de millions de francs CFA dans certains cas, moins de cent mille francs dans d’autres familles. Nanan Agoa Alexandre est chef central des Goa (groupe akan), région d’Alépé, du district d’Abidjan. Ce groupe ethnie minoritaire est voisin des Abouré, des Akyé et des Ebrié. En plus du fait qu’il avoue que le mariage coutumier procure le respect, la considération de la famille, il révèle que le mariage coutumier comprend deux étapes. La cérémonie de « Côcô » qui vise à faire le premier pas. « Chez les Goa, le premier pas se caractérise par une bouteille de liqueur, une bouteille de vin, une bouteille de sucrerie accompagné de la somme de 5000F CFA. Après quoi, une liste d’éléments à fournir pour le mariage coutumier est remise au futur marié. La date de la célébration du mariage traditionnel dépend du mari », souligne le chef Goa. Le chef coutumier va plus loin, affirmant qu’en cas du décès de la femme non dotée qui vit avec son conjoint, il est demandé à l’homme, en ce qui concerne les Goa, de doter sa femme défunte avant son inhumation. « Peu importante s’ils sont liés par le mariage civil. C’est après avoir doté la défunte que le veuf est reconnu comme étant le mari. C’est une obligation. Si le mari refuse de doter sa femme défunte, on lui interdit les cérémonies liées à l’inhumation. Dans les temps anciens, on parlait de mariage coutumier après la dot par le fiancé ». Sans cela, précise le chef central, « la fille ne pouvait pas aller dans son foyer. De nos jours, de nombreuses filles se marient sans faire le mariage coutumier. L’homme qui n’a pas célébré le mariage coutumier que sa femme décède est frappé d’une amende à payer au décès de sa conjointe. Cette amende varie selon les villages, les ethnies, voire les communautés. C’est après que le mari se soit acquitté de l’amende (numéraire) que l’enterrement de la défunte peut se faire. Cette pratique s’impose à toute personne qui se met ensemble avec une fille de chez nous », explique Nanan Goa Alexandre Bozard.
Le mariage de la femme décédée n’est pas spécifique aux Goa. Simplice Kalou Bi est chef coutumier, originaire de Gohitafla et domicilié à Abobo-Belleville (Gouro). Il affirme qui l’homme vit avec une femme avec laquelle il a eu des enfants et reconnu par sa belle famille, est de facto considérée comme l’époux de la femme. Si cette dernière décède, il doit la doter pour le bonheur de ses enfants. « Vous ne pouvez pas vivre pendant des années avec une femme et ne pas la doter. Ce n’est pas normal. C’est faire abstraction de la tradition, de nos us et coutumes. C’est la raison pour laquelle quand vous êtes avec une femme, que les parents vous connaissent, si vous n’aviez pas fait de dot qu’elle décède, la famille de la défunte vous exige quelque chose de symbolique en guise de dot. Ce geste vise à sauver l’esprit, à honorer la défunte. Ce geste représente la dot. C’est après cela que la famille de la défunte vous reconnait comme père des enfants de la défunte. C’est ainsi chez les gouro de Gohithafla », affirme le chef coutumier Kalou Simplice, instituteur à la retraite. Abordant dans le même sens, Serges Mangoua (Baoulé de la localité de Didiévi) émet des réserves. « Ça dépend des familles. Certaines familles exigent, quand leur fille n’a pas été dotée alors qu’elle vit maritalement avec un homme et qu’elle décède, la dot avant son inhumation. Dans un tel cas, le mari est appelé à doter la femme défunte comme si elle était encore en vie. D’autres familles par compte renoncent à cette pratique ou presque. Elles demandent seulement quelque chose de symbolique», clame-t-il. B. K. est d’un père bété et d’une mère Abbey. « Mon père n’a pas doté ma mère mais a fait le mariage civil. Au décès de notre mère, mon père a demandé à inhumer sa femme dans son village. Ma famille maternelle a posé une condition. Que mon père dote sa femme défunte. Vu que cela n’est pas une tradition dans le village de mon père, ces parents ont refusé. Mes parents maternels ont interdit à mon père de s’approcher du corps de ma mère et de faire quoique ce soit, pis, ils ont décidé d’aller enterrer leur fille dans leur village. Cela a suscité des brouilles mais à-tire-d’aile mon père et les enfants que nous sommes, avons dissuadé les parents de la famille paternelle et la dot de notre mère défunte a été faite. Finalement, l’inhumation a eu lieu dans le village de mon père », explique l’un des cinq enfants du couple. Mme Flaure Assemian relève que l’exigence de la dot chez certains bété de Gagnoa est liée à deux raisons. Soit parce que la famille de la défunte n’est pas contente du conjoint et pour se venger, elle exige la dot de la femme défunte, soit c’est pour honorer la défunte qui a souffert dans son foyer sans être doté.. Cette célébration du mariage avec une défunte par son mari, le chef central de Hiré, Moïse Any Gbetto désapprouve. « Je ne sais pas sur quelle base on peut demander à un mari qui n’a pas doté sa femme défunte de marier coutumièrement le cadavre. Je suis contre et j’ai refusé de cautionner par deux fois ce genre de pratique. J’ai demandé à ceux qui cautionnent cette pratique de m’apporter des éléments justificatifs et convaincants. Pour moi, l’homme qui perd sa femme est déjà éprouvé. Lui demander de doter la défunte, c’est lui demander trop. D’ailleurs, on épouse un être vivant et non un cadavre. Je m’interroge si ce n’est pas une pratique d’ailleurs que l’on veut nous imposer ? », se demande le chef central de Hiré (région du Loh-Djiboua). Boga Willy Joselito, originaire de Lakota (Loh-Djiboua) confirme les dires du chef central Moïse Any Gbetto. « Célébrer le mariage coutumier ou la dot d’une femme défunte, ça ne se fait pas chez les Dida de Lakota. On ne dote pas un cadavre. Par compte, si l’homme originaire de chez nous décède, on propose à la veuve un autre homme au sein de la famille du défunt », témoigne le natif de Zokolilié (Lakota), marié à une femme Abbey.
La célébration de la dot de la défunte par son mari suscite parfois des incompréhensions voire des divisions entre les deux familles. Cela, à cause des listes parfois excessives auxquelles le conjoint doit faire face.
Quand la dot divise les couples
Le mariage coutumier, non reconnu par le législateur, le christianisme et l’islam, est de plus en plus exigé aux couples qui désir célébrer le mariage civil. Plusieurs occidentaux fiancés à des africains en général et des Ivoiriens en particuliers ont, en dépit d’avoir célébré le mariage civil avec leur conjoint, accepte la célébration du mariage coutumier. « Chez les Goa, la célébration de la dot exige du conjoint de s’acquitter de vingt complets de pagnes, vingt trois bouteilles de liqueurs, un casier de vin, un casier de bière, un casier de sucrerie, éponge traditionnel fait à partir de lianes, un sac de sel, un sac de riz, des ignames, du vin de palme, de l’huile rouge, un chasse-mouche, un panier de poissons fumés. A cela il faut ajouter 150.035F. Pour ce qui est des pièces d’argent, il s’agit d’offrir une pièce de 25F comportant sur l’une des deux faces, la tête d’une personne. Pareil pour les deux pièces de 5 F », annonce le chef central Nanan Goa Alexandre Bozard. Il ajoute qu’en cas de divorce du couple, seulement les 35F ajoutés au montant de 155.000 sont restitués. « Ça, c’est chez les Goa », poursuit le chef central. La dot diffère d’un groupe ethnies à l’autre. Chez les gouro, contrairement aux préjugés que certaines personnes font courir affirmant que la dot est payée à coût de millions de F CFA, le chef coutumier Simplice Kalou soutient le contraire. « Le bœuf n’est pas exigé pour la dot. Ce que les parents de la financée exigent, ce sont : 2 pagnes de qualités pour la mère, un foulard de tête, une paire de chaussures. Pour ce qui est du père, il reçoit de son beau-fils, un gros pagne kita, 3 bouteilles de liqueur de qualité, une somme pour les frères et sœurs de la fiancée, plus 100.000 F CFA. Si le financé a les moyens et qu’il veut faire plus en donnant plus d’argent, c’est son choix. Il arrive que le financé n’a pas les moyens pour payer la dot. Le beau-père, pour éviter que sa fille soit la risée de tous, parce que non marié, s’il a les moyens, paye la dot de son gendre », témoigne Simplice Kalou.
Babily Dembélé est un guide religieux, d’ethnie Sénoufo. Il affirme que la dot était par le passé quelque chose de symbolique. « Tout se passait entre les familles. La jeune fille était demandée en mariage dès son très jeune âge. Lors de la dot, le financé donnait 2 ou 3 colas, un coq ou un cabri et c’était tout. Avec le modernisme, le mariage coutumier est célébré à la mosquée ou à l’église pour ceux qui le veulent », dixit le natif de Kouto. L’islam et le christianisme reconnaissent-ils le mariage coutumier ? Le Père Alphonse Kouadio de la paroisse saint Joseph Charpentier de Yopougon gare ne dit pas le contraire. « La dot est reconnue mais une reconnaissance qui n’a aucune valeur au niveau Ecclésiale dans la démarche du mariage chrétien. L’église exige qu’une démarche traditionnelle soit faite. Elle reconnait l’importance de la dot dans le mariage traditionnel. Celui qui est marié traditionnellement n’a aucun droit sur le plan religieux et sur le plan de l’église. Cependant, c’est important de se marier à l’église et faire la dot qui sert le mariage traditionnel. La dot est symbolique. On n’achète pas la femme mais donne quelque chose de symbolique à la famille et donc l’église catholique reconnait la dot », dixit-il.
Hermann Digbeu est responsable d’une église évangélique à Yopougon. Pour lui, la dot est reconnue chez les chrétiens. Le disant, il se réfère à certains versets tirés de la bible. Genèse 34 verset 12; exode 22 verset 16 à 17 et 1 rois 9 verset 16…..
La constitution Ivoirienne ne reconnait pas le mariage coutumier. Et pourtant, certains célébrants du mariage civil exhortent les mariés à faire le mariage coutumier. « J’ai célébré mon mariage civil à la mairie de Yopougon. Lors de la cérémonie à la mairie, le maire célébrant nous a demandé si on avait fait le mariage coutumier. Il nous a exhorté à le faire si cela n’était pas fait», a expliqué Boga Willy. Il poursuit en déclarant qu’à l’époque, quand la dot n’était pas payée et qu’un couple voulait célébrer le mariage civil, le colon exigeait le mariage coutumier. « Si cette exigence n’était pas honorée par le fiancé, la fiancée était ramenée quelques semaines après dans sa famille », révèle-t-il. Malheureusement, seul le mariage civil est reconnu par la loi Ivoirienne. Et pourtant, nulle n’ignore l’existence des mariages coutumiers ou la célébration de la dot. Des garants des us et coutumes continuent d’exiger la dot. Si le législateur continue de fermer les yeux sur cette pratique courant, de nombreux couples dans la société Ivoirienne célèbrent le mariage coutumier. Autrefois, payée à partir d’éléments dérisoires, la célébration du mariage coutumier nécessite de nos jours beaucoup d’argent. « Je me suis fiancé à un homme d’un autre groupe ethnie que moi. Nous avons passé cinq ans de vie conjugale. Quand mon fiancé a décidé de payer ma dot, ma famille a présenté une longue liste d’éléments à donner pour le mariage coutumier. Vu qu’il n’était pas à mesure d’avoir les moyens pour payer les éléments de la dot, mon homme avec qui j’ai voulu fonder un foyer a renoncé au mariage et a mis fin à nos relations », a confié A. Josée. Brice Ouédraogo est calligraphe. Il affirme s’être séparé de sa fiancée suite à la longue liste présentée par ses parents pour la dot. Le mariage coutumier ramène à la tradition, aux origines. W.B (ethnie dida) s’est marié à une femme Abbey, région de l’Agnéby Tiassa, « Quand je suis allé pour doter ma fiancée, j’ai dépensé moins de 100.000F. Il y a une alliance forte entre dida et abbey. Au nom de cette alliance, la chefferie et les sages du village n’ont pas exigé grand’chose. Conséquence, j’ai donné trois (3) pièces de 5F, cinq (5) litres de vin de palme (Bangui), une bouteille de liqueur, deux (2) litres d’huile rouge. Pour ce qui est du montant, ça été de mon choix », a-t-il confié. Comme on le voit la dot a non seulement un caractère mais aussi un retour à la tradition ancienne. Elle forme une union, un rapprochement entre les familles du couple. Au moment où les autorités Ivoiriennes prônent la paix et la cohésion sociale, encourager le mariage coutumier peut être source de réconciliation, d’unité, de rapprochement des familles et des ethnies.
In Le Nouveau Regard
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